En 1997, alors qu’il est moniteur en école de pilotage et nourrit depuis toujours cette passion du sport automobile, Patrice Houllier a une discussion décisive avec deux anciens stagiaires. Ces derniers venaient d’acquérir une Barquette Hommell, mais n’avaient pas les connaissances techniques nécessaires pour s’en occuper. Fort de son expérience, Patrice leur a proposé une assistance complète clé en main. Il s’est alors lancé dans un projet complètement fou, sans un sou en poche, pour se retrouver à Nogaro avec ses tout premiers clients le mois suivant. C’était le début de l’aventure HMC.
Depuis ce jour, Patrice représente fièrement les “irréductibles bretons” de sa région natale de Lohéac sur la scène du sport automobile français. De l’ambition plein la tête, des projets plein les poches, et surtout de la passion plein le cœur, il continue de transmettre son savoir en le mettant notamment au service des prochaines générations, qui ne peuvent qu’être reconnaissantes de tout ce qu’il leur apporte.
Tu n’as pas besoin de présentations dans le milieu du sport auto, mais si tu devais quand même te résumer en quelques mots, lesquels choisirais-tu ?
Passion. Courage… Et remise en question perpétuelle.
Tu as grandi dans un village à côté de Lohéac, qui est depuis devenu un lieu majeur du sport automobile français. Comment s’est faite ton entrée dans le milieu du sport automobile, et quel regard portes-tu sur cette période de ta vie aujourd’hui ?
Je suis né à Lohéac, enfin juste à côté, à 500 mètres du village de Lohéac. Mes parents étaient paysans, ils ont connu la misère, et je ne voulais pas vivre ça. Donc je suis parti à l’âge de quinze ans, dans un métier tout aussi dingue que celui que je fais aujourd’hui puisque je suis allé dans la restauration. J’ai commencé comme plongeur et j’ai fini comme cuistot diplômé. J’ai passé un CAP, et ensuite j’ai eu la chance de travailler dans des grandes maisons de la région de Rennes. J’ai été chef de cuisine pendant sept ans avec des brigades de 40 personnes, donc peut-être que j’avais déjà un côté un peu meneur d’hommes malgré moi.
Et puis la passion a pris le dessus. Cette passion de l’automobile, évidemment elle vient un peu du Rallycross de Lohéac puisque le Rallycross arrive en 76, donc je n’avais que treize ans. Mais pour moi, c’était complètement inabordable. Du milieu d’où je venais, c’était juste impossible que je puisse un jour monter dans une automobile. Mais mon métier à l’époque m’a permis de gagner de l’argent assez facilement, il fallait bosser mais on gagnait de l’argent.
Donc tout de suite, j’ai acheté une première voiture de course – à 17 ans et demi donc avant d’avoir mon permis. J’ai acheté une R8 S, 1000 francs à l’époque, donc vous allez traduire en euros mais ça fait 150 €. [rire] Et à 18 ans et deux mois, j’ai fait ma première course automobile sur terre et je l’ai gagnée. Ne croyez pas que j’étais bon, c’est parce que les autres étaient très mauvais. [rire] Mais pendant six ou sept ans, dans la région très locale de chez moi, j’ai gagné beaucoup de courses et beaucoup de championnats, mais qui ne veulent rien dire. Et ça m’a mis un pied à l’étrier.
En parallèle de ça, j’ai arrêté la restauration et j’ai ouvert ma première entreprise à Lohéac qui était une casse automobile. En deux ans, j’ai confondu chiffre d’affaires et résultats, donc ça ne l’a pas fait. [rire] Mais bon, on apprend. Je me suis retrouvé chez Gérard Poussin sur le circuit de terre, à entretenir la piste et les voitures. Et puis, à un moment donné, je suis monté dedans et j’ai roulé. Comme ça n’allait pas trop mal, ils m’ont dit “tu devrais venir faire un stage”. J’ai dit écoute, moi je n’en ai pas besoin, je sais faire. J’ai fait un stage… J’ai pris une claque comme vous ne pouvez même pas imaginer. Je me suis dit “Ça fait cinq ans que je gagne des courses, mais en fait je ne connais rien.” Donc j’ai appris. Et en apprenant, j’ai découvert la vraie passion de mon métier qui est de transmettre cette passion. De ce fait, j’ai suivi la formation, je suis devenu moniteur, et ensuite j’ai été formateur de moniteurs.
Lorsque tu pilotais dans les années 80, tu mettais au point et construisais toi-même tes chassis. Est-ce que c’est important d’avoir de l’expérience dans toutes les composantes du sport – et d’avoir littéralement mis les mains dans le cambouis – pour être un bon patron d’écurie ?
Évidemment. Mais je dirais surtout que c’est un plus. C’est LE plus. Ce n’est pas indispensable, surtout aujourd’hui, il y a beaucoup de chefs d’entreprise qui sont des gestionnaires et qui savent gérer une entreprise. Mais dans le sport auto, le petit plus, et bien c’est ça : c’est d’être capable de monter dans une voiture et de dire ce qui ne va pas, d’écouter un moteur et de dire où est la panne, de regarder l’usure d’un pneu et de dire ce qui ne va pas sur un châssis. Ça, c’est un plus. Et je pense que chez HMC on l’a.
Ton histoire est depuis plusieurs années intimement liée à celle de Funyo, comment est née cette relation ?
La Funyo c’est une longue histoire. En 2003, j’ai rencontré Yves Orhant, qui est le concepteur et le créateur de la marque. Il était venu me démarcher l’année précédente pour me vendre ses voitures. Je n’étais pas du tout adepte de sport proto, parce qu’il est vrai que j’étais bien inspiré par la coupe Hommell. Mais quand j’ai rencontré Yves, j’ai découvert un mec attachant. C’était une belle rencontre parce que c’est un passionné comme moi, qui n’avait pas de moyens mais qui s’est donné les moyens de créer une voiture. J’ai adhéré à son projet et j’ai acheté une voiture d’occasion. Pendant la première course on a eu beaucoup, beaucoup de galères, et j’ai rencontré quelqu’un qui était à l’écoute, qui a su entendre ce que je lui ai dit et ce que j’aurais souhaité.
Et le résultat est là aujourd’hui, parce que la Funyo existe toujours. Il y a un championnat qui dure depuis 2007, avec lequel on a eu de belles années avec 30-35 voitures sur les grilles de départ. Aujourd’hui c’est un peu plus difficile avec la conjoncture, le Covid qui est passé par là. Mais on existe toujours et on a su développer cette voiture, tant avec Yves qu’avec Romain Angebeau, qui a repris en 2018. Ce sont des gens qui sont à l’écoute et qui partagent la même passion que j’ai.
En quarante ans de carrière, tu as aussi pu t’essayer à une bonne variété de véhicules, y en a-t-il un autre que la Funyo qui t’as particulièrement marqué ?
Évidemment, la Funyo va garder une grande place dans ma vie de sports mécaniques. Parce que j’ai beaucoup, beaucoup roulé avec ces voitures-là, et parce que j’ai beaucoup participé au développement.
Mais j’ai eu la chance aussi de collaborer avec les automobiles Michel Hommell, à l’époque de la coupe barquette en circuit, et j’ai eu la chance de pouvoir rouler dans plein de voitures. S’il y en a une parmi toutes celles que j’ai pilotées, qui m’a marqué un peu plus que les autres, je dirais que c’est une 964 RSR avec laquelle j’ai fait quelques courses. Il y a le mythe, il y a le plaisir, il y a les sensations, il y a les odeurs qui font que cette voiture là, parmi plein d’autres, j’en garde un très bon souvenir.
Tu t’investis énormément dans le sport auto à tous les niveaux, notamment avec la création de l’Académie HMC dernièrement. C’est la direction que tu souhaites prendre pour les années à venir ? D’autres projets sont-ils en préparation ?
Des projets j’en ai plein les cartons, mais ça reste des projets – donc on va garder ça un peu sous le coude. Et Dieu merci, tant que j’en ai, vous allez continuer à me voir.
L’Académie en fait, ça coulait de source. Depuis des années, on s’aperçoit qu’on fait rouler beaucoup de gens de tous types, des jeunes, des moins jeunes, des fortunés, des moins fortunés, du vrai pilote et du gentleman driver. Et puis, au fil du temps, on s’est rendu compte qu’on a des gens qui sont venus chez nous, qui ont découvert le sport auto et ensuite ont été ailleurs et ont bien progressé ailleurs, même jusqu’au graal qui est les 24 Heures du Mans.
Alors pourquoi j’ai créé l’Académie ? C’est parce que justement, j’ai tous ces jeunes qui viennent courir chez moi et qui ont des résultats sur les années. Donc je me suis dit mais l’Académie elle existe déjà, maintenant il faut juste qu’on en parle. Il faut qu’on dise qu’on a une Académie qui forme les jeunes et que si vous passez chez nous, on va vous emmener plus loin.
La différence qu’il va y avoir à partir de cette année avec cette Académie, c’est qu’on va accompagner ces jeunes, même si demain ils quittent la structure HMC et qu’ils vont dans d’autres structures, qu’ils montent dans d’autres catégories. C’est à dire que je ne veux plus laisser les jeunes partir de chez moi et leur dire “bah écoutez les gars bon vent”. Parce que j’en ai bon nombre, qui auraient dû percer et qui auraient pu percer mais qui se sont cassé les dents parce qu’ils sont tombés chez de mauvaises personnes. Maintenant, j’ai dit stop. Quand on sent qu’on a quelqu’un, un jeune qui est bien, on va l’accompagner et on va lui dire tu vas aller dans telle structure et t’inquiète, je vais être derrière, je vais te suivre et on va l’emmener le plus haut possible.
Et de voir ton dernier fils qui roule, et qui épate un peu la galerie – on entend les commentaires de Xavier Cousin qui dit “Ah oui, Yohann Houllier, il va bien le jeune” – ça fait plaisir non ?
Je peux être que fier ! Fier et heureux, évidemment. Il a encore beaucoup beaucoup de choses à apprendre, et il a une qualité c’est qu’il en est conscient. C’est bien parce que ça veut dire qu’il va continuer à travailler.
Pour finir, quel conseil donnerais-tu aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le milieu aujourd’hui pour les faire profiter de ton expérience ?
Il faut toujours se mettre au travail. Il faut toujours, toujours, tous les matins, se remettre en question.
On accueille uniquement des jeunes dans la structure HMC. Il faut savoir que depuis quelques années, la personne qui travaille chez HMC la plus âgée a 25 ans. Donc ça veut dire que je ne prends que des jeunes entre 17 et 25 ans. Et le conseil pour eux c’est surtout : il faut de la motivation, c’est ce qui fait tout.
Malheureusement, je n’ai pas beaucoup de demande de femmes. On a eu des stagiaires féminines en mécanique, en ingé et en communication. Mais sur la course j’en ai très peu, alors qu’au contraire, on est ouverts à ça !
Un grand merci à Patrice d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Nous aurions pu en poser des dizaines d’autres et continuer à discuter des heures de son histoire et de ses expériences. Nous lui souhaitons évidemment une belle réussite dans ses projets futurs que nous avons hâte de découvrir !
Propos recueillis par Gérard Jolivet et Alexia Ortega. Crédit photos : Alexia Ortega, Gaëtan Minoc