Entre 1980 à 1994, Patrick Bouazis et Franck Ruffino font une belle carrière en karting. Patrick est alors champion de France de vitesse. Les deux amis et beau-frères montent leur propre écurie d’endurance karting, rencontrant un beau succès : vice-champions de France en 1991 et vainqueurs au moins une fois de chaque épreuve du championnat, mises à part les 24h du Mans Karting. Malheureusement, Patrick trouve la mort durant ces dernières en 1994.
En 2020, Franck célèbre la mémoire de son ami et réalise leur rêve commun en créant l’écurie Spirit of Patrick Bouazis Still Racing. Accompagné de son fils Brian, il renoue avec l’endurance à bord d’un prototype Funyo. Le duo, entièrement débutant, finit vice-champion cette année-là !
Aujourd’hui, Franck se concentre sur le management du team et la préparation mécanique du proto, et c’est son fils Peter qui rejoint Brian au volant. Nous les avons rencontrés tous les 3 à la suite du premier meeting de la saison au Val de Vienne, pour parler de cette belle histoire de famille.
Franck, vous avez fait vos armes en karting dans les années 80 et 90, comment cette expérience se traduit-elle dans ce que vous faites aujourd’hui ?
Franck : Notre belle équipe en karting, « Les Ecureuils », était bien structurée et très compétitive. Ce bagage énorme en tant que pilote, team manager et préparateur châssis est certainement – avec l’expérience de mes amis Serge Martinelli, Denis Martin et Yann Dano – notre principale force depuis 2020. Mes fils ont baigné et grandi au sein d’une famille de compétiteurs.
La mise au point châssis m’a toujours passionné. Un proto ce n’est pas un karting, et on n’acquiert pas le savoir d’un Patrice Houiller (HMC Racing) du jour au lendemain. Mais comprendre et travailler avec rigueur est un exercice commun aux deux domaines. Je fais mon maximum pour donner un setup optimal à mes pilotes. Mon expérience en mécanique automobile se résumait à avoir démonté le moteur de la Simca 1100 de mes parents en 1975, pour des raisons que je vous laisse deviner… Heureusement, en Funyo on ne peut rien modifier, il faut juste desserrer et remonter beaucoup de boulons.
Comme pilote, j’avais quelques épreuves du Championnat de France d’Endurance au palmarès, et surtout des adversaires de haut niveau comme Marc Boulineau ou Christophe Tinseau. Mon coéquipier, Patrick, était Champion de France, une sacrée référence. D’ailleurs mon père me disait toujours « Dis moi qui tu bats, je te dirais qui tu es… ». Cette expérience joue en amont avec le sérieux de la préparation physique des pilotes et des courses. C’est toute une philosophie de pilotage, avec des exigences précises dans des domaines très différents qui permettent de répondre aux défis de l’endurance. Le premier de ces défis étant : « Avant d’espérer vaincre les autres, il faut se vaincre soi-même ».
Brian et Peter, avez-vous le sentiment de profiter également de l’expérience de Franck et Patrick à l’époque ?
Brian : Oui tout à fait, à tous les niveaux : du pilotage, à la préparation, à l’investissement, jusqu’au plaisir partagé avec son équipe. J’ai grandi en bord de piste et dans les stands, à observer et à apprendre dans mon coin. Des petites graines semées qui ont développé ma passion pour l’endurance, que j’ai cultivée au fil des années en observant et en apprenant de cette discipline.
Peter : Nous sommes passionnés depuis notre plus jeune âge par les sports mécaniques, donc évidemment l’expérience familiale s’est transmise. Du moins dans la théorie nous avons fait le tour de la question ! La pratique reste plus personnelle mais on essaye de mettre en pratique ce que l’on a acquis dans la théorie…
Vous êtes revenus à la compétition en Endurance Funyo, pourquoi avoir choisi cette discipline ?
Franck : C’est un choix de cœur et de raison. En 1964 aux 1000 kms de Paris j’ai découvert les plus grands : Pedro Rodriguez, Jo Schlesser, Graham Hill, Jacky Stewart,… dans une épreuve du Championnat du Monde d’Endurance. Fan des 24h du Mans (nous allions avec Patrick nous planquer la nuit le long des rails dans les Hunaudières) c’est naturellement que je me suis tourné vers un proto et l’endurance avec la perspective de redonner vie à notre écurie.
Quand Rémy Brouard, ancien coéquipier aux 24h du Mans Karting, m’a fait découvrir la Funyo, (YO pour Yves Orhant, son créateur, un de nos adversaires aux mêmes 24h du Mans karting) un vrai prototype, français, aux atouts budgétaires évidents, les planètes se sont alignées. Avec Serge Martinelli, mon compère dans cette aventure, nous avons craqué pour ce championnat d’endurance avec une forte opposition, très expérimentée, rendant le challenge difficile comme l’était le Championnat de France d’Endurance Karting des années 90. L’écrin idéal pour un bel hommage à notre ami.
Peter, le Val de Vienne était votre première course automobile, quel est votre ressenti pour ces débuts ?
Peter : C’est beaucoup d’émotions qui se mélangent car c’est un rêve d’enfant qui se réalise… Donc un immense plaisir avant tout, une fierté de partager ces moments en famille, mais aussi de l’angoisse compte tenu de mon expérience proche de zéro. Et malgré cela, comme tout pilote, l’envie de bien faire !
Une fois installé dans la voiture, il ne reste que de la concentration. Les conditions étaient délicates pour ce premier week-end de course et j’ai commis des erreurs lors des essais libres. En course j’ai donc voulu assurer, prendre de l’expérience, et surtout du plaisir. Pour une première course, je suis assez satisfait de mon relai, un peu lent au départ sur une piste difficile, mais un rythme intéressant ensuite qui me donne de la confiance pour les prochaines courses.
Vous êtes montés sur le podium dès le premier meeting, comment s’est passé votre weekend ?
Peter : Ce week-end était riche en enseignements. La météo a vraiment rendu la tâche compliquée pour toutes les équipes, et malgré quelques erreurs nous avons plutôt bien tiré notre épingle du jeu. Nous sommes récompensés de nos courses par un podium, c’est une belle satisfaction pour toute l’équipe.
Brian : Cela restera un moment fort de ma vie, partager un podium avec son petit frère est un rêve qui se réalise.
Les essais n’ont pas été faciles pour nous et pour l’apprentissage de Peter. En qualification je n’ai pas réussi la performance escomptée par manque de roulage, même si nous étions dans nos objectifs. La course 1 était très compliquée d’un point de vue météo, et avec des pneus très usés je devais faire une course sage et prudente. Finir troisième était une bonne chose pour la confiance de Peter le lendemain et le mini objectif du weekend était rempli. Pour la course 2, j’ai pris le relais de Peter qui a fait du très bon travail. J’ai pu rapidement combler l’écart qui me séparait des leaders mais je n’ai pas pu les dépasser, à cause d’une voiture compliquée dans les endroits clés. Mais avec 2 troisièmes places et une deuxième place au général à l’arrivée, ce fut un excellent weekend à tous points de vue !
Franck : Peter, débutant, n’avait jamais roulé sur piste humide ! Son vendredi s’est résumé à 10 tours. C’était le ticket d’entrée à payer pour son inexpérience. Conscient de son désarroi, j’ai préféré lui épargner l’épreuve du samedi sous le déluge. Faute de certitudes, je ne voulais pas qu’il y trouve une occasion de perdre sa confiance qu’il n’avait pas encore pu installer. Brian, qui a de la confiance à revendre, a joué un super rôle de grand frère. Avec un très vieux train de pneus pluie, il a réalisé un incroyable sans faute et mené l’équipe à une belle 3ème place.
En m’appuyant sur la dynamique forte de ce résultat, j’ai choisi dimanche de faire partir Peter. Parce que je connais son talent et je sais qu’il a cette capacité à se mobiliser et à se dépasser dans la difficulté. Sa fiche de route était simple : Nicolas Sturm et Axel Dolhem étaient les références qu’il devait suivre. Il devait ramener la voiture intacte en limitant, si possible, l’écart, puis passer, le cas échéant, le volant à Brian. Mission accomplie, avec prudence d’abord puis sérieux et brio. De la bonne confiance emmagasinée. Brian a effectué une superbe remontée, et, avec un sous virage trop pénalisant pour effectuer des dépassements safe, géré une nouvelle 3ème place.
En tant que Team Manager, c’est un vrai soulagement d’avoir atteint l’objectif que j’avais fixé dans des conditions météo aussi difficiles. Je suis vraiment fier de l’ambiance, la solidarité et du travail accompli par notre groupe. En tant que Papa c’est une joie intime que de voir deux de ses fils monter sur le podium pour leur première course. Et en tant qu’ami et beau-frère de Patrick Bouazis, c’est un sentiment bien particulier que de voir ses neveux réaliser le rêve que nous avions.
Pour finir, quels sont vos objectifs pour la saison ?
Franck : Avec les débuts de Peter c’était la course où nous étions le plus exposés de la saison. Ça ne veut pas dire que les suivantes seront faciles. Au contraire, avec le niveau de nos adversaires, et des objectifs revus progressivement à la hausse, Brian et Peter seront confrontés à de rudes challenges.
Il faut être pragmatique : en l’état actuel de nos finances, nous ne pouvons pas jouer le championnat. Charade, terra incognita, sera l’occasion de nous étalonner. Une course de 3 heures permet de révéler le potentiel des équipages. Au Paul Ricard, dans notre Sud, nous serons sur le seul circuit que nos deux pilotes connaissent. Nogaro et Le Mans, dans la seconde moitié de saison, seront conditionnés par la qualité des résultats précédents et un complément de budget.
Ce n’est pas pour autant que nous allons bouder notre plaisir. Gagner en tant que team manager avec Brian et Peter, pilotes de la Funyo du Spirit of Patrick Bouazis Still Racing, serait vraiment une belle récompense.
Peter : Honnêtement, avant la saison, un podium aurait été génial ! Le réaliser d’entrée donne forcément envie de gravir un échelon ! Une victoire serait incroyable, mais avant tout profiter, prendre du plaisir, et progresser course après course.
Brian : Prendre du plaisir en piste et en dehors reste mon objectif principal et les résultats suivront je n’en doute pas. Partager cela en famille et avec l’équipe sera une belle victoire. Continuer à faire honneur à mon oncle, ma famille qui nous suit, nos couleurs et notre équipe. Je ne bouderais pas une victoire car j’ai souvent mené mais jamais réussi à monter sur la plus haute marche. Keep pushing!
Un grand merci à Franck, Brian et Peter d’avoir pris le temps de répondre à nos questions, et surtout d’avoir partagé leur histoire avec nous. Nous leur souhaitons une belle saison 2023, à la hauteur de leur passion inépuisable.
Propos recueillis par Alexia Ortega. Crédit photos : Gaëtan Minoc, Alexia Ortega